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lundi 12 décembre 2016

LA RESPONSABILITE DES NEUROLOGUES FACE AUX CRISES D’EPILEPSIE SURVENANT EN SITUATION DE CONDUITE D’UN VEHICULE TERRESTRE A MOTEUR

INTRODUCTION

L’épilepsie est une affection caractérisée par la répétition chronique de décharges (activations brutales) des cellules nerveuses du cortex cérébral.

Ces décharges neuronales hyper-synchrones peuvent être dues à deux grands types de causes :

  • une lésion du cortex cérébral, telle une tumeur, qui va entraîner une épilepsie symptomatique,
  • une anomalie génétiquement déterminée de l'excitabilité neuronale qui va entraîner une épilepsie idiopathique.

Les crises d’épilepsie ne s’accompagnent pas toujours de mouvements saccadés ou de convulsions. Elles peuvent seulement se manifester par des sensations insolites (hallucinations olfactives, auditives, etc.) avec ou sans perte de conscience, ou par diverses manifestations physiques (regard fixe, gestes répétitifs et / ou involontaires).

Il importe de distinguer la crise d'épilepsie de l'épilepsie proprement dite qui est définie par la répétition de crises.

Ce n’est que lorsqu’un individu a subi plusieurs crises qu’il peut être diagnostiqué comme épileptique.

En effet, une personne est considérée comme épileptique lorsqu’elle subit 2 crises d’épilepsie ou plus en moins de 5 ans.

Lorsque le diagnostic est posé, la personne diagnostiquée voit alors certains de ses droits réduits, notamment ceux relatifs à la délivrance et le maintien du permis de conduire, compte tenu de l’altération possible des facultés mentales pouvant survenir en situation de conduite.

Ces restrictions sont en parfaite adéquation avec les dispositions du code de la route et notamment de son article R. 412-6.

''Article R. 412-6 du code de la route : « I.-Tout véhicule en mouvement ou tout ensemble de véhicules en mouvement doit avoir un conducteur. Celui-ci doit, à tout moment, adopter un comportement prudent et respectueux envers les autres usagers des voies ouvertes à la circulation. Il doit notamment faire preuve d'une prudence accrue à l'égard des usagers les plus vulnérables. II.-Tout conducteur doit se tenir constamment en état et en position d'exécuter commodément et sans délai toutes les manoeuvres qui lui incombent. Ses possibilités de mouvement et son champ de vision ne doivent pas être réduits par le nombre ou la position des passagers, par les objets transportés ou par l'apposition d'objets non transparents sur les vitres. III.-Le fait, pour tout conducteur, de contrevenir aux dispositions du II ci-dessus est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la deuxième classe. IV.-En cas d'infraction aux dispositions du II ci-dessus, l'immobilisation du véhicule peut être prescrite (…) ».''

I – L’EPILEPSIE ET LA CONDUITE AUTOMOBILE

2.1. Evolution législative

Avant 2005, la réglementation du permis de conduire interdisait toute personne épileptique d'obtenir le permis de conduire ou de maintenir celui-ci après diagnostic de l’affection. Et pour cause !

Les crises d’épilepsie ou autres perturbations brutales de l’état de conscience constituent un danger grave pour la sécurité routière lorsqu’elles surviennent lors de la conduite d’un véhicule à moteur.

Mais depuis 2005, grâce aux progrès thérapeutiques et à la meilleure maîtrise des crises épileptiques par les professionnels de santé, il est désormais possible pour les personnes atteintes d’épilepsie d'obtenir un permis de conduire ou de le maintenir, sous certaines conditions.

En effet, depuis l’Arrêté du 21 décembre 2005 fixant la liste des affections médicales incompatibles avec l'obtention ou le maintien du permis de conduire ou pouvant donner lieu à la délivrance de permis de conduire de durée de validité limitée, les épileptiques sont désormais autorisés à conduire un véhicule terrestre à moteur, sous certaines conditions.

Cet Arrêté a été modifié à plusieurs reprises, notamment par l’arrêté du 31 août 2010 lui-même modifié récemment par l’Arrêté du 18 décembre 2015 qui a transposé les dispositions de la directive 2014/85/UE de la Commission du 1er juillet 2014 modifiant l’annexe III de la directive 2006/126/CE du 20 décembre 2006 relative au permis de conduire qui prévoit les cas dans lesquels l’apnée obstructive du sommeil peut être une cause d’inaptitude médicale.

L’Annexe de cet Arrêté fixe les conditions d’obtention ou de maintien du permis de conduire, lesquelles varient selon l’affection dont souffre la personne sollicitant la délivrance ou le maintien dudit permis.

Ces affections sont répertoriées par classes, sous-classes et sous-sous-classes, elles-mêmes répertoriées en deux groupes : le groupe léger et le groupe lourd. Il existe 6 classes différentes :

  1. Pathologie cardio-vasculaire
  2. Altérations visuelles
  3. Otorhino-Laryngologie-Pneumonie
  4. Pratiques addictives – Neurologie – Psychiatrie
  5. Appareil locomoteur
  6. Pathologie métabolique et transplantation.

Concernant les deux groupes, le groupe léger concerne les permis non professionnels A, A1, A2, B, B1, EB et le groupe lourd concerne les permis professionnels C1, C1E, C, CE, D1, D1E, D, DE).

Concernant plus particulièrement l’épilepsie, celle-ci est répertoriée dans la classe IV « Pratiques addictives – Neurologie – Psychiatrie » tant du groupe léger que du groupe lourd.

Les conditions d’obtention ou de maintien des différents permis de conduire professionnels et non professionnels sont les suivantes :

2.1.1. Le principe commun à chaque affection

Annexe de l’arrêté du 18 décembre 2015 :

''« Tant pour le groupe léger que pour le groupe lourd, le permis de conduire ne doit être ni délivré ni renouvelé au candidat ou conducteur atteint d’une affection, qu’elle soit mentionnée ou non dans la présente liste, susceptible de constituer ou d’entraîner une incapacité fonctionnelle de nature à compromettre la sécurité routière lors de la conduite d’un véhicule à moteur. La décision de délivrance ou de renouvellement du permis par l’autorité préfectorale est prise à la suite d’un avis de la commission médicale départementale ou d’un médecin agréé. L’avis adressé au préfet peut contenir, si les conditions l’exigent pour la sécurité routière, des propositions de mentions additionnelles ou restrictives sur le titre de conduite. Avant chaque contrôle médical, le candidat ou le conducteur remplit une déclaration décrivant loyalement ses antécédents médicaux, une éventuelle pathologie en cours et les traitements pris régulièrement. Un test de conduite par une école de conduite peut être demandé. Le médecin agréé ou la commission médicale peuvent, après un premier examen, s’ils le jugent utile, demander l’examen de l’intéressé par un spécialiste de la commission médicale d’appel. Ce dernier répondra aux questions posées par le médecin agréé ou la commission, sans préjuger de leur avis »''

2.1.2. Les spécificités de l’épilepsie

Il apparaît logique que les conditions d’obtention ou du maintien du permis de conduire diffèrent selon le type de personnes épileptiques et selon qu’il s’agit d’obtenir ou de maintenir un permis du groupe léger ou du groupe lourd. Et pour cause !

Il existe de nombreuses caractéristiques de l’épilepsie, sa fréquence, ses facteurs déclenchants et son évolution pouvant être très différents.

Il est donc extrêmement important que le syndrome épileptique spécifique et le type de crise de la personne concernée soient identifiés au cours d’un examen médical périodique réalisé par un professionnel de santé agréé, afin de pouvoir entreprendre une évaluation correcte de la sécurité de la conduite de cette personne (y compris de risque de nouvelles crises) et de pouvoir mettre en place un traitement éventuel approprié.

Sur la base de cette évaluation, le spécialiste peut et doit alors produire un rapport mentionnant la durée de l’interdiction de conduite et le suivi requis.

2.2. Les conditions d’obtention ou du maintien d’un permis de conduire du groupe léger

2.2.1. L’épilepsie

Le permis de conduire d’un conducteur considéré comme épileptique fait l’objet d’un examen médical périodique tant que le conducteur n’est pas resté 5 ans sans faire de crise.

En revanche, après une période de 5 ans sans crise, la délivrance d’un permis de conduire sans limitation de durée de validité pour raison médicale peut être envisagée.

Cela est logique car une personne qui souffre d’épilepsie ne satisfait pas aux critères permettant d’obtenir un permis inconditionnel.

Une notification est alors fournie à l’autorité délivrant les permis.

2.2.2. Crise d’épilepsie provoquée

Une crise d’épilepsie provoquée est définie comme une crise déclenchée par un facteur causal identifiable qui peut être évité.

Le candidat ayant été victime d’une crise d’épilepsie provoquée par un facteur causal identifiable qui est peu susceptible de se reproduire au volant peut être déclarée apte à la conduite au cas par cas, après avis d’un neurologue.

2.2.3. Première crise d’épilepsie non provoquée ou crise unique

Une personne qui est victime d’une crise initiale ou isolée doit être dissuadée de prendre le volant.

Toutefois, dans l’hypothèse où la personne ayant été victime d’une première crise d’épilepsie non provoquée souhaite obtenir ou maintenir son permis, elle peut être déclarée apte à la conduite après une période de 6 mois sans aucune crise, à condition qu’un examen médical approprié ait été effectué par un professionnel de santé qui aura indiqué par ailleurs le suivi requis.

Les conducteurs dont les indicateurs pronostiques sont bons peuvent être autorisés avant l’expiration de cette période de 6 mois, après un avis médical approprié.

2.2.4. Autres pertes de conscience

Une personne qui est victime d’une perte de conscience doit également être dissuadée de prendre le volant.

Toutefois, dans l’hypothèse où la personne victime de pertes de conscience souhaite obtenir ou maintenir un permis de conduire, elle doit consulter un spécialiste qui doit alors produire un rapport mentionnant la durée de l’interdiction de conduite et le suivi requis.

La perte de conscience doit être évaluée en fonction du risque de récurrence lors de la conduite.

2.2.5. Épilepsie déclarée

Les conducteurs ou candidats peuvent être déclarés aptes à la conduite après une année sans crise.

2.2.6. Crise survenue exclusivement durant le sommeil

Le candidat ou conducteur qui n’a des crises que pendant son sommeil peut être déclaré apte à la conduite si ce schéma de crises est observé durant une période ne pouvant être inférieure à la période sans crise requise pour l’épilepsie.

Si le candidat ou conducteur est victime d’attaques de crises lorsqu’il est éveillé, une période d’une année sans nouvelle crise est requise avant que le permis ne puisse être délivré.

2.2.7. Crise sans effet sur la conscience ou la capacité d’action

Le candidat ou le conducteur qui subit exclusivement des crises n’affectant pas sa conscience et ne causant pas d’incapacité fonctionnelle peut être déclaré apte à la conduite si ce schéma de crises est observé durant une période ne pouvant être inférieure à la période sans crise requise pour l’épilepsie.

Si le candidat ou conducteur est victime d’attaques ou de crises d’un autre genre, une période d’un an sans nouvelle crise est requise avant que le permis puisse être délivré.





2.2.8. Crises dues à une modification ou à l’arrêt du traitement antiépileptique ordonné par un médecin

Il peut être recommandé au patient de ne pas conduire pendant 6 mois à compter de l’arrêt du traitement.

Si, une crise survient alors que le traitement médicamenteux a été modifié ou arrêté sur avis du médecin, le patient doit cesser de conduire pendant 3 mois et le traitement efficace précédemment suivi doit être réintroduit.

2.2.9. Après une opération chirurgicale visant à soigner l’épilepsie

Les mêmes conditions que celles de l’épilepsie s’appliquent pour obtenir ou maintenir un permis de conduire.

2.3. Les conditions d’obtention ou du maintien d’un permis de conduire du groupe lourd

Le candidat ne doit prendre aucun médicament antiépileptique durant toute la période sans crise.

Un suivi médical approprié doit être effectué.

L’examen neurologique approfondi ne doit révéler aucune pathologie cérébrale notable, et aucun signe d’activité épileptiforme ne doit être détecté dans le tracé de l’électroencéphalogramme.

Un électroencéphalogramme et un examen neurologique approprié doivent être réalisés après une crise aigüe.






2.3.1. Crise d’épilepsie provoquée

Le candidat qui est victime d’une crise d’épilepsie provoquée par un facteur causal identifiable peu susceptible de se reproduire au volant peut être déclarée apte à la conduite au cas par cas, après avis d’un neurologue.

Un électroencéphalogramme et un examen neurologique approprié doivent être réalisés après une crise aigüe.

Une personne souffrant d’une lésion intracérébrale structurelle qui présente un risque accru de crise doit se voir interdire de conduire de véhicules du groupe lourd jusqu’à ce que le risque d’épilepsie soit au maximum de 2 % par an.

2.3.2. Première crise non provoquée ou crise unique

Le candidat qui a subi une première crise d’épilepsie non provoquée peut être déclaré apte à la conduite, après avis d’un neurologue, si aucune autre crise ne se produit au cours d’une période de 5 ans alors qu’aucun traitement antiépileptique n’a été prescrit.

Les conducteurs dont les indicateurs pronostiques sont bons peuvent être autorisés avant l’expiration de cette période de 5 ans, après un avis médical approprié.



2.3.3. Autres pertes de conscience

La perte de conscience doit être évaluée en fonction du risque de récurrence lors de la conduite.

Le risque de récurrence doit être au maximum de 2 % par an.

2.3.4. Epilepsie

Sans suivre le moindre traitement antiépileptique, le conducteur ne doit plus avoir eu de crises pendant dix ans.

Les conducteurs dont les indicateurs pronostiques sont bons peuvent être autorisés avant l’expiration de cette période de 10 ans, après un avis médical approprié.

Cela s’applique à certains cas d’épilepsies dites juvéniles.

En résumé, pour pouvoir obtenir un permis de conduire (groupe léger ou lourd), le patient épileptique doit :

  • Ne pas avoir fait de crises depuis plusieurs années ;
  • Ne pas avoir présenté trop de périodes critiques intenses et/ou périodes de crises rapprochées ;
  • Suivre un traitement médicamenteux qui n'altère pas ses capacités de concentration et de vigilance ;
  • Avoir rapporté la preuve d’un contrôle électro-encéphalographique normal récent ;
  • Avoir produit un certificat médical d’un neurologue attestant de sa capacité à conduire malgré l’affection dont il est atteint.

Il s’agit d’une délivrance temporaire pouvant aller de 6 mois à 10 ans, soumise à l’accord de la commission médicale départementale des permis de conduire, après avis d’un neurologue indépendant agréé par le Préfet.

En aucun cas, le conducteur ne peut solliciter une autorisation de conduite de la part de son médecin traitant généraliste ou neurologue. (Avis du Conseil national de l’Ordre des Médecins du 29.03.1999).

Si le patient veut obtenir un permis C ou D, il doit par ailleurs s’agir d’un neurologue attaché au -Centre d’aptitude à la conduite et d’adaptation des ¬véhicules (CARA). En cas de refus d’obtention d’un permis, il est toujours possible de reformuler une demande ultérieure lorsqu’il n’existe plus de contre-indication médicale à la conduite.

Il est par ailleurs possible de faire appel d’une décision de refus d’obtention du permis de conduire devant une Commission spéciale où siège un neurologue : la commission médicale d'appel.

Cet appel n'empêche toutefois pas la décision initiale du préfet de s'appliquer.

Si l'avis médical négatif est maintenu et que le préfet rend une décision d'inaptitude, ou d'aptitude temporaire ou avec restrictions, il est toujours possible de faire un recours devant le juge administratif.

Par ailleurs, en cas de délivrance temporaire du permis, il est important de préciser qu’il ne s’agit pas d’une décision définitive, celle-ci pouvant être remise en cause en cas d’incident ou d’accident de la circulation consécutif à une crise d’épilepsie au volant.

Au vu de cette pathologie, il n’est donc pas exclu qu’une crise épileptique survienne en situation de conduite malgré les précautions susmentionnées prises et les règles ci-dessus respectées.

Se pose alors la question, dans cette hypothèse, de la responsabilité du neurologue ayant autorisé, via l’établissement d’une attestation d’aptitude à la conduite, la conduite automobile litigieuse.

II – LA RESPONSABILITE DU NEUROLOGUE AGREE EN CAS D’ACCIDENT DE LA CIRCULATION LIE A UNE CRISE D’EPILEPSIE

Pour que la responsabilité d’un neurologue, ayant délivré une attestation d’aptitude à la conduite, soit engagée en cas de survenue d’un accident de la circulation causé par le patient épileptique, encore faut-il que ce praticien ait méconnu les obligations légales et déontologiques auxquelles il est tenues.

Il a, à ce titre, une obligation d’investigation.

Il doit en effet tout d’abord interroger son patient sur son état de santé :

  • Surveillance médicale régulière ?
  • Nombre de crises d’épilepsie et sur quelle période ?
  • Suivi sérieux du traitement prescrit ?
  • Etc.

Toute la difficulté réside dans le fait de savoir si son patient a été honnête dans ses déclarations, ce dernier pouvant parfaitement omettre de donner certains éléments d’information et ce, de manière volontaire ou involontaire en vue de l’obtention ou du maintien de son permis de conduire.

Les déclarations du patient ne sauraient toutefois suffire. Elles doivent être vérifiées.

Cette vérification peut s’opérer par le biais d’une prise de contact auprès du médecin traitement neurologue ou généraliste.

Toutefois, cette investigation auprès d’un autre professionnel de santé prenant en charge le même patient doit être autorisée par ce dernier (Avis du Conseil National de l’Ordre des Médecins du 30 mai 2009).

Pour éviter toute poursuite judiciaire liée notamment à une violation du secret professionnel, il convient d’insérer dans le dossier médical du patient son accord concernant cette investigation auprès d’autres professionnels de santé et les démarches entreprises auprès de ceux-ci.

En cas de refus dudit patient concernant cette investigation, il apparait « dangereux » d’établir une telle attestation d’aptitude à la conduite, cette attitude devant être considérée comme « suspecte ».

A défaut, une légèreté blâmable pourrait être reprochée au neurologue instigateur.

Ce dernier doit en effet pouvoir rapporter la preuve qu’il a contrôlé un minimum les déclarations de son patient.

Par ailleurs, le neurologue doit systématiquement réaliser différents examens médico-techniques (électro-encéphalogramme, IRM etc) afin de s’assurer de la stabilisation de l’état de santé du patient.

Si les investigations réalisées sont suffisamment poussées, le praticien ne saurait être tenu responsable - en cas de fausses déclarations du patient ayant causé un accident de la circulation – ni d’avoir délivré une attestation d’aptitude à la conduite injustifiée ni de ce fait des conséquences dudit accident de la circulation.

Dans le cas contraire, il pourrait être reproché au neurologue un manque d’investigations en cas de survenue d’un accident de la circulation causé par le patient épileptique à la suite de la délivrance d’une attestation d’aptitude à la conduite.

Aussi, dans cette seconde hypothèse, il n’est pas exclu que ce praticien soit déclaré co-responsable de l’accident de la circulation au côté du patient.

A ce titre, il sera précisé que lorsqu’un patient fait de fausses déclarations auprès d’un neurologue agréé afin d’obtenir un permis de conduire, celui-ci est alors invalidé si ces fausses déclarations sont découvertes à posteriori.

Aussi, dans cette hypothèse et en cas d’accident de la circulation, l’assurance du véhicule litigieux se réserve le droit de soulever une déchéance de garantie, le patient épileptique auteur de l’accident restant alors seul responsable des conséquences pécuniaires de l’accident.

Enfin il sera précisé qu’en l’absence de fausses déclarations du patient et en cas d’attestation d’aptitude à la conduite délivrée par un neurologue, ce dernier pourra voir sa responsabilité engagée en cas de survenance d’un accident de la circulation causé par ce patient en cas de crise d’épilepsie, lequel pourra en effet parfaitement se retourner contre le praticien aux fins de partage des indemnités dues à une ou plusieurs victimes.

Le patient devra toutefois prouver que le neurologue a failli à ses obligations légales et déontologiques : erreur de diagnostic, soins inappropriés etc.

CONCLUSION

Il n’a été traité ici que de l’épilepsie et des crises mais la consultation d’un neurologue agréé aux fins de délivrance d’une attestation d’aptitude à la conduite est nécessaire dans de nombreux autres cas visés à la classe IV « Pratiques addictives – Neurologie – Psychiatrie » de l’Arrêté du 18 décembre 2015.

Ces dispositions ont été créées afin d’assurer le respect du principe de sécurité routière, lesquelles ont été assouplies et/ou précisées au fur et à mesure des années pour assurer une plus grande liberté individuelle.

Toutefois, compte tenu du risque d’accidents de la circulation lié à cette pathologie, les neurologues en charge de délivrer des attestations d’aptitude à la conduite se doivent d’être extrêmement vigilants lors de la réalisation des examens et contrôles médicaux au risque d’engager leur propre responsabilité en cas d’accident de la circulation causé par un patient épileptique auquel il aurait été délivré une autorisation de conduire injustifiée.

dimanche 14 février 2016

LES EFFETS INDESIRABLES DU SIFROL ET LA RESPONSABILITE DU NEUROLOGUE POUR SEUL MANQUEMENT A SON OBLIGATION D'INFORMATION

INTRODUCTION

Les neurologues ont attendu impatiemment l'issue de la procédure diligentée par Madame Brigitte X, atteinte du syndrome des jambes sans repos, contre l'un de leur confrère lui ayant prescrit du SIFROL.

C'est enfin chose faite.

Après un Jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de ROUEN le 11 mai 2005 (n° 12/05581) ne satisfaisant pas pleinement la patiente, la Cour d'appel de ROUEN vient de rendre sa décision le 13 janvier dernier (n° 15/02570), confirmant les dispositions de celui-ci et ce, pour les motifs ci-après :

LES FAITS

Brigitte X, née en 1959, mère de deux enfants, responsable d'exploitation dans un entreprise de transport routier, a souffert à compter de 2006 d'un syndrome des jambes sans repos.

Son médecin traitant, le Docteur Y, l'a adressée au Docteur Z, neurologue, lequel l'a reçue en consultation le 26 janvier 2007 et lui a prescrit de l'ADARTREL.

Après une efficacité temporaire, un arrêt de ce traitement a été entrepris afin d'être remplacé en avril 2008, par une prescription de SIFROL progressive, à savoir d'un demi à un comprimé à 0,18 mg, puis si besoin un et demi à deux comprimés à 0,18 mg en fonction de l'évolution des symptômes.

Parallèlement à l'augmentation des doses, courant 2010, Brigitte X a présenté une addiction aux jeux à l'origine d'un surendettement, d'une mise à pied disciplinaire dans le cadre professionnel en mai 2011 et d'une première tentative d'autolyse médicamenteuse au LEXOMIL en janvier 2011.

Le Docteur Y, chargé du suivi et du renouvellement des prescriptions, a découvert les possibles effets indésirables du SIFROL, pris à haute dose, notamment le jeu pathologique et le syndrome des achats compulsifs.

Il a alors envisagé de réduire les doses de ce traitement mais a souhaité l'avis préalable du Docteur Z qui a confirmé le lien de cause à effet entre la posologie administrée et le comportement additif de Madame Brigitte X.

C'est ainsi que le traitement litigieux a été remplacé par du RIVOTRIL le soir, à augmenter progressivement en fonction de l'efficacité et de la tolérance obtenues.

Toutefois, la patiente a fait une deuxième tentative de suicide, le 6 mars 2011, suivie d'une hospitalisation en service d'addictologie du 17 au 19 mars 2011.

Parallèlement, elle a remis un dossier de surendettement à la Banque de France le 11 mars 2011 et a déposé au SRPJ de ROUEN une demande d'exclusion volontaire des salles de jeux le 24 mars suivant.

Le Docteur Y a ensuite repris seul le suivi du traitement par prescription médicamenteuse sans effet indésirable, à savoir le TRAMADOL.

LA PROCEDURE DE REFERE, LE RAPPORT D'EXPERTISE ET L'ASSIGNATION AU FOND

C'est dans ce contexte qu'une expertise judiciaire a été ordonnée par le Président du Tribunal de Grande Instance de ROUEN le 22 juillet 2011 au contradictoire des Docteurs A, Z et du Laboratoire BOEHRINGER et qu'un rapport d'expertise a été déposé par un Collège d'experts (pharmacologie clinicien, psychiatre et neurologue) le 16 octobre 2012.

Aux termes de celui-ci, les Experts ont conclu à l'existence certaine et directe du lien de causalité entre la ludopathie et le SIFROL, médicament dopaminergique dont les effets indésirables sont connus depuis les années 2006-2007.

Cependant, ils ne relèvent pas de faute à l'encontre du Docteur Z, eu égard à la bonne prescription.

Suite au dépôt de ce rapport, Madame Brigitte X a assigné le Docteur Z devant le Tribunal de Grande Instance de ROUEN aux motifs suivants :

  • faute de négligence concernant le suivi thérapeutique,
  • faute dans la posologie prescrite,
  • manquement à l'obligation d'information à l'égard du médecin traitement et de la patiente, eu égard aux risques induits par la prise de médicaments dopaminergiques,
  • manquement à l'obligation de sécurité de résultat compte tenu de sa qualité de prescripteur du médicament.

Aussi, elle reproche en effet une faute dans le cadre de la prescription, en ce qui concerne tant un défaut d'information qu'une négligence fautive dans le suivi thérapeutique à l'origine d'une perte de chance d'échapper à un traitement risqué.

# Le Jugement du Tribunal de Grande Instance de ROUEN du 11 mai 2015

Le Tribunal a jugé en ces termes :

" ''Vu l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, (...),

CONDAMNE le Docteur Z à payer à Madame Brigitte X la somme de 3.000,00 euros au titre de la réparation de son préjudice moral né du défaut d'information du prescripteur du médicament envers son patient ;

DEBOUTE Madame Brigitte X du surplus de ses prétentions (...)''".

Compte tenu du caractère manifestement dérisoire de la condamnation, Madame Brigitte X et la CPAM de ROUEN ont relevé appel de cette décision, le 26 mai 2015.

# L'arrêt de la Cour d'appel du 13 janvier 2016

En appel, Madame Brigitte X a notamment reformulé d'une part, ses arguments relatifs aux fautes commises par le Docteur Z et d'autre part, ses demandes indemnitaires et ce, en ces termes :

DIRE que les soins dispensés par le Docteur Z n'ont pas été conformes aux règles de l'art ;

FIXER le pourcentage de perte de chance à un taux qui ne saurait être inférieur à 90 % ;

FIXER les préjudices de Madame Brigitte X comme suit :

  • 222.145,80 € au titre de son préjudice patrimonial,
  • 5.000,00 € au titre du préjudice autonome résultant du défaut d'information,
  • 50.000,00 € au titre de son préjudice extrapatrimonial ;

Pour se défendre, le Docteur Z a fait valoir que Madame Brigitte X procédait à de l'automédication avec un produit de présentant pas de défaut.

Il a affirmé par ailleurs avoir informé sa patiente quant aux effets indésirables du médicament.

Au vu des arguments échangés par l'ensemble des parties, la Cour d'appel de ROUEN a jugé de la manière suivante :

1. Sur l'obligation de sécurité de résultat

Cette obligation ne peut s'appliquer au cas d'espèce, dans la mesure où le Docteur Z n'est ni producteur ni fabricant du produit.*

Il n'a fait que le prescrire avec une posologie conforme aux recommandations de l'AMM au regard de l'affection traitée (posologie maximale : 0,54 mg).

A ce titre, il sera précisé que les Experts judiciaires ont confirmé qu'il n'existe pas de défaut de sécurité concernant le SIFROL.

Aussi, le Docteur Z n'a pas engagée sa responsabilité sur le manquement reproché à l'obligation de sécurité de résultat d'appliquant aux médicaments.

C'est ce qu'avait initialement jugé le Tribunal de Grande Instance de ROUEN, initialement saisi du litige. La Cour a donc confirmé ce point.

2. Sur la responsabilité pour faute du Docteur Z

2.1. Sur la faute

il ressort du rapport d'expertise que les troubles comportementaux dont a souffert Madame Brigitte X sont liés à la prise du SIFROL, la patiente n'ayant aucune maladie préexistante ou trouble comportemental ou addiction préalable à la prise du SIFROL.

Les Experts ont d'ailleurs relevé que Madame Brigitte X a souffert de ces troubles pendant toute la durée du traitement, lesquels ont cessé seulement deux semaines après l'arrêt de celui-ci.

Toutefois, au vu des seules pièces médicales produites lors de l'expertise, ils n'ont pas été à même de connaître les doses exactes prises par la patiente.

Cependant, tout au long du traitement, le Docteur Z n'a reçu aucun compte rendu mentionnant l'importance des doses réellement prescrites par le médecin traitant. C'est en cela notamment que la patiente lui reproche une faute dans son suivi médical.

Il résulte de tout ce qui précède que le Docteur Z a certes été à l'origine de la prescription mais dans des doses minimes et selon une posologie conforme aux recommandations de l'AMM pour l'affection traitée.

Il n'a ensuite pas effectué de réel suivi de Madame Brigitte X, selon le choix personnel de celle-ci qui a préféré être prise en charge par son médecin traitement, le Docteur Y, à l'origine des prescriptions complémentaires.

En tout, le Docteur Z a vu Madame X trois fois en consultations, adressant systématiquement un compte rendu à son médecin traitement et en lui précisant qu'il restait à sa disposition pour revoir Madame X en consultation dès qu'il le jugerait nécessaire.

En conséquence, la Cour a confirmé qu'aucune faute ne pouvait être reprochée au Docteur Z ni en sa qualité de prescripteur ni quant au suivi réalisé.

Madame Brigitte X a donc été déboutée de ses demandes.

2.2. Sur l'obligation d'information

Les Experts ont rappelé que les effets indésirables du médicament prescrit, notamment une possible addiction aux jeux, ont été mis en lumière dès 2006 et la notice distribuée avec le médicament le mentionnait dès avant le début du traitement de Brigitte X.

Cependant, une note de l'AFSSAPS aux prescripteurs a permise une plus large diffusion en juillet 2009 alors que le traitement de Madame X a débuté en avril 2008.

Or, le Docteur Z ne justifie pas avoir délivré une information claire complète et appropriée à sa patiente dès le mois d'avril 2008 quant au risque de comportement addictif.

Cependant, compte tenu de la faible posologie prescrite, très en deçà des doses à risque et compte tenu de la présence de la notice d'information dans la boite du médicament accessible à la patiente, la Cour d'appel a considéré que le préjudice autonome résultant du défaut d'information est minime.

Aussi, la Cour a confirmé la condamnation prononcée par le Tribunal sur ce point à hauteur de 3.000,00 euros et ce, au motif que ce défaut d'information n'a pas eu pour conséquence d'occasionner à Madame Brigitte X une perte de chance de se soustraire au risque de ludopathie dans la mesure où ce risque est inexistant aux doses prescrites par le Docteur Z dans le cadre de ce traitement, doses qu'elle n'a précisément pas respectées.

CONCLUSION

Compte tenu de la décision rendue par la Cour d'appel de ROUEN, il est indéniable que le neurologue doit informer son patient des risques graves à type d'achats compulsifs lors de la prescription du SIFROL et ce, alors même qu'à dose minime, ce risque est inexistant, sous peine d'engager sa responsabilité du fait de ce défaut d'information.

Mais quel est le préjudice indemnisable dans cette hypothèse ?

Ce préjudice ne relève pas d'une perte de chance de se soustraire au traitement et aux risques afférents compte tenu de l'absence de risque en cas de posologie minime et de la notice d'information dans la boite du médicament. Ce préjudice relève dans cette hypothèse d'un préjudice moral autonome mis en lumière par la Cour de Cassation dans un arrêt de principe du 3 juin 2010 (1ère Civ., n° 09-135.91).

vendredi 27 février 2015

LA VALIDITE DES ACTES JURIDIQUES FACE A L’INSANITE D’ESPRIT

INTRODUCTION

En vertu de l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi ». Découle de ce texte la liberté contractuelle, selon laquelle chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter, de conclure un contrat librement sans condition de forme ou d'en fixer le contenu et de choisir son cocontractant, mais toujours dans les limites fixées par les dispositions d'ordre public.

I - La capacité : condition nécessaire à la validité de tout acte juridique

Pour qu’un acte juridique soit valable, encore faut-il que la personne qui s’y est engagée soit en capacité de contracter au moment de la signature de l’acte. Cette règle est d’ordre général en ce qu’elle s’applique à n’importe quel type d’acte juridique et notamment aux donations et testaments.

En effet, l’article 414-1 du code civil dispose que « pour faire un acte valable, il faut être sain d'esprit. C'est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte ».

Et l’article 1123 du code civil dispose que « toute personne peut contracter si elle n'en est pas déclarée incapable par la loi ». En effet, selon l’article 901 du code civil, « pour faire une libéralité, il faut être sain d'esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l'erreur, le dol ou la violence ». Par insanité d’esprit, il faut entendre toutes les variétés d'affection mentale par l'effet desquelles l'intelligence du disposant a été obnubilée ou sa faculté de discernement déréglée.

Ainsi, entre dans le cadre de l’insanité d’esprit les maladies mentales, mais également les addictions susceptibles d’altérer les capacités de discernement (drogues, alcools), les personnes privées de raisonnement du fait de leur état physique (douleur, longue maladie etc…). Selon la Jurisprudence, l’origine du trouble mental est indifférente (âge, accident, maladie, absorption d’alcool, drogue etc..) et la durée du trouble est indifférente (le trouble peut survenir de manière ponctuelle, passagère ou être durable). De simples troubles physiques ne suffisent pas pour justifier une insanité d’esprit et obtenir l’annulation d’un acte juridique. Il faut en effet une absence de discernement au moment de la conclusion de l’acte juridique. Le trouble mental doit être suffisamment grave pour priver la personne atteinte du trouble d’un consentement libre ou éclairé. A contrario, cela signifie qu’un acte fait pendant un intervalle de lucidité est valable. En conséquence, lorsqu’une personne n’est pas saine d’esprit au moment de la signature de l’acte juridique, celui-ci peut être annulé.

II – Les personnes pouvant soulever la nullité de l’acte juridique pour insanité d’esprit

L’article 414-2 du code civil dispose :

« ''De son vivant, l'action en nullité n'appartient qu'à l'intéressé. Après sa mort, les actes faits par lui, autres que la donation entre vifs et le testament, ne peuvent être attaqués par ses héritiers, pour insanité d'esprit, que dans les cas suivants : 1° Si l'acte porte en lui-même la preuve d'un trouble mental ; 2° S'il a été fait alors que l'intéressé était placé sous sauvegarde de justice ; 3° Si une action a été introduite avant son décès aux fins d'ouverture d'une curatelle ou d'une tutelle ou si effet a été donné au mandat de protection future'' ».

De son vivant, seule la personne ayant contracté un acte juridique peut agir en justice afin d’en obtenir la nullité.

Ce n’est qu’au décès de cette dernière qu’un héritier pourra invoquer la nullité dudit acte juridique auquel le défunt s’était engagé.

A ce titre, il sera souligné que les héritiers ne peuvent agir en nullité à l’encontre d’un acte juridique que dans certaines hypothèses définies à l’article susvisé, à savoir :

  • l’acte porte en lui-même la preuve d'un trouble mental,
  • ou l’acte doit avoir été fait alors que l'intéressé était placé sous sauvegarde de justice,
  • ou si une action a été introduite avant son décès aux fins d'ouverture d'une curatelle ou d'une tutelle ou si effet a été donné au mandat de protection future.

Toutefois, aucune condition ne leur est imposée lorsque les héritiers souhaitent obtenir la nullité d’une donation ou d’un testament.

III – Le délai de l’action en nullité

La personne souhaitant obtenir la nullité d’un acte juridique dispose d’un délai de 5 ans :


  • à compter du jour où le contractant a eu ou aurait dû avoir connaissance de son insanité d’esprit,
  • à compter du décès du contractant.

C’est ce qu’a jugé la 1ère Chambre de la Cour de cassation dans un arrêt du 20 mars 2013.

Cass. 1ère Civ., 20 mars 2013, n° 11-28318 « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; que ce n'est qu'à l'ouverture de la succession et donc au décès de son auteur, que l'héritier a qualité pour agir et la possibilité d'exercer une action en nullité du testament pour insanité d'esprit ; qu'en retenant que le délai de prescription de l'action en nullité du testament commençait à courir le jour de l'acte contesté, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil ».

IV - Preuves de l’insanité d’esprit

Il appartient au demandeur à l’action en nullité d’apporter la preuve de l’insanité d’esprit du contractant au moment de la conclusion de l’acte. La preuve de l’insanité d’esprit peut être rapportée par tout moyen.

Le demandeur à l’action en nullité doit prouver :

  • l’existence d’un trouble mental ayant affecté le discernement du disposant,
  • l’existence de ce trouble au moment de la rédaction de l’acte dont la nullité est sollicitée.

Si l’état d’insanité d’esprit existait à la fois dans la période immédiatement antérieure et dans la période immédiatement postérieure à l’acte contesté, la charge de la preuve est renversée et il revient alors au défendeur à l’action en nullité de démontrer l’existence d’un intervalle lucide au moment où l’acte a été passé. En général, les demandeurs à l’action en nullité d’un acte juridique ont recours à trois modes principaux de preuve pour établir l’insanité d’esprit.

Le rapport d'expertise

Le demandeur à l’action en nullité peut solliciter du Juge en charge de cette affaire la désignation d’un Expert Judiciaire ayant pour mission d’évaluer la capacité du contractant lors de la conclusion de l’acte juridique litigieux.

Si la preuve de l'existence de troubles mentaux peut être faite librement devant les juges du fond et relève de leur appréciation souveraine, une demande d'expertise psychiatrique doit être déclarée irrecevable lorsque la mesure sollicitée n'est pas motivée par l'ordre public ou par le souci de protection d'un éventuel incapable.

Le Juge peut également prendre en considération les conclusions du rapport d’expertise rendu dans le cadre d’une procédure relative à la mise en place d’une mesure de protection juridique.

Les témoignages

Toutes les personnes qui ont été amenées à côtoyer le contractant atteint d’une affection altérant ses facultés mentales peuvent témoigner en justice sur la capacité ou l’incapacité juridique de ce dernier au moment de la conclusion de l’acte juridique.

L’attestation ou le certificat médical du médecin

En principe, la violation du secret médical est sanctionnée pénalement, sauf lorsque la loi impose ou autorise la révélation de ce secret.

Cependant, le médecin qui intervient pour faire état de ses constatations relatives à l’insanité d’esprit de l’un de ses patients, est alors délié de son obligation de secret professionnel.

En effet, la Cour de cassation considère que le médecin est autorisé au sens de l’article 226-14 du code pénal à révéler des faits et informations médicales, dont il a eu connaissance dans l’exercice de sa profession, aux personnes ayant un intérêt légitime à faire valoir la protection du malade.

Cf. Cass. 1ère Civ., 22 mai 2002, n° 00-16305 : « Mais attendu qu'aux termes de l'article 901 du Code civil, pour faire une donation, il faut être sain d'esprit ; que, par l'effet de cette disposition qui vaut autorisation au sens de l'article 226-14 du Code pénal, le professionnel est déchargé de son obligation au secret relativement aux faits dont il a eu connaissance dans l'exercice de sa profession ; que la finalité du secret professionnel étant la protection du non-professionnel qui les a confiés, leur révélation peut être faite non seulement à ce dernier mais également aux personnes ayant un intérêt légitime à faire valoir cette protection ; qu'ayant relevé que les enfants de Constance B...- Y... avaient un intérêt légitime à rechercher si, à l'époque où elle a consenti la donation critiquée, elle était saine d'esprit, les juges du fond n'ont fait qu'exercer leur office en prescrivant une mesure d'expertise dont, en décidant que l'expert ne devrait communiquer le dossier médical à aucune personne mais seulement le consulter afin de pouvoir répondre aux questions de sa mission, ils ont exactement fixé les modalités ; que le premier moyen est en sa troisième branche nouveau et mélangé de fait, M. X... et le Conseil régional de l'Ordre des médecins de Loire-Atlantique n'ayant pas soutenu que l'accès aux informations contenues dans le dossier devait être la seule voie possible pour établir l'insanité d'esprit de Constance B...- Y...»

Cf. Cass. 1ère Civ., 2 mars 2004, n° 01-00333 : « Attendu, sur les autres branches, que, par l'effet de l'article 901 du Code civil qui vaut autorisation au sens de l'ancien article 378 du Code pénal alors applicable, le docteur B... a été déchargé de son obligation au secret relativement aux faits dont il a eu connaissance dans l'exercice de sa profession et, la finalité du secret professionnel étant la protection du non-professionnel qui les a confiés, leur révélation a pu être faite aux experts et aux personnes ayant un intérêt légitime à faire valoir cette protection ; que c'est par conséquent à bon droit que la cour d'appel a décidé que la remise du certificat du docteur B... aux experts n'était pas irrégulière, dès lors que ce témoignage constituait l'un des moyens de rapporter la preuve de l'insanité d'esprit de Simone Y... lors de la rédaction des deux testaments litigieux et que, dans le cas contraire, l'héritier ou les légataires auraient été empêchés de faire valoir leurs droits » L’attestation qui émane d’un médecin traitant ou d’un spécialiste doit toujours établir de manière précise et étayée le trouble mental subi par son patient au moment où il a conclu l’acte. Un certificat trop bref, général ou imprécis ne suffit pas à établir l’insanité d'esprit ».

Il est à noter que le médecin peut renseigner un notaire, auteur d’un acte juridique, qui aurait un doute sur la capacité du contractant pour lequel il intervient.

A contrario : Cour d'appel Bordeaux, le 23 Mars 2010 « En application de l'article 901 du Code civil, il convient de déclarer le testament nul en raison de l'insanité d'esprit du testateur au moment de la rédaction de l'acte. En effet, il résulte d'une expertise judiciaire que le de cujus était dans un état de faiblesse psychologique et n'avait pas son libre arbitre, de telle sorte qu'un premier notaire avait refusé de recevoir le testament. Il ressort du dossier qu'il présentait au moment de la rédaction des signes confusionnels, un syndrome dépressif et qu'on ne pouvait considérer qu'il avait toute sa capacité mentale normale. Des témoins ont pu constater qu'il avait de grandes difficultés pour s'exprimer et qu'il tenait des propos incohérents. Il convient de retenir la responsabilité professionnelle du notaire qui, tenu de s'assurer de la validité et de l'efficacité des actes, a omis de vérifier la capacité du testateur. En effet, il apparaît que le notaire ne connaissait pas son client, qu'il a constaté une certaine confusion mentale. Il aurait dû se renseigner auprès des médecins avant d’accepter de recevoir ce testament ».

IV – le cas particulier des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer

Le pouvoir d’appréciation du juge quant à la capacité de contracter du contractant atteint de la maladie d’Alzheimer est différent selon qu’une mesure de protection a ou non été mise en place dans l’intérêt de ce dernier par le Juge des tutelles.

Lorsque le juge n’est pas tenu par une mesure de protection préexistante à l’acte juridique conclu, sa liberté d’appréciation est plus grande.

A l’inverse, lorsqu’une mesure de protection a été mise en place, seuls les actes que l’individu est autorisé à effectuer seul sont valables. Tout autre acte est par principe annulé pour défaut de capacité du majeur protégé.

1) Préexistence d’une mesure de protection

  • La sauvegarde de justice

La personne placée sous sauvegarde de justice conserve l'exercice de ses droits. Toutefois, elle ne peut, à peine de nullité, faire un acte pour lequel un mandataire spécial aurait été désigné (Cf. Article 435 du code civil).

  • La curatelle


La personne en curatelle ne peut, sans l'assistance du curateur, faire aucun acte qui requerrait une autorisation du juge ou du conseil de famille (article 467 du code civil). Dès lors, elle ne peut, sans l’assistance de son curateur, faire emploi de ses capitaux, ester en justice, effectuer une donation ou conclure un acte écrit.

En revanche, elle peut librement tester sous réserve d’être saine d’esprit.

  • La tutelle

Sous réserve des cas où la loi ou l'usage autorise la personne sous tutelle à agir elle-même, le tuteur la représente dans tous les actes de la vie civile.

Toutefois, le juge des tutelles peut toujours autoriser un majeur protégé à passer certains actes seul (Cf. Article 473 du code civil).

2) L’absence de mesure de protection

Dans cette hypothèse, il appartient au Juge de rechercher si, au moment de la conclusion de l’acte, le contractant était sain d’esprit.

En effet, les actes effectués par une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer ne sont pas automatiquement remis en cause sur le fondement de son incapacité ou de son insanité d’esprit dans la mesure où, en l’absence d’un régime de protection, l’individu atteint de cette affection étant présumé lucide et ce, quand bien même ses facultés seraient en pratique gravement altérées (Cf. Cass. 1ère Civ., 4 juillet 2006, n° 05-12005).

Cass. 1ère Civ., 4 juillet 2006 : « ''Mais attendu que la cour d'appel, qui était saisie sur le fondement de l'article 503 du code civil, a d'abord constaté qu'il n'était pas discutable qu'au moment de la signature de l'acte de vente, Arlette X... était atteinte de la maladie d'Alzheimer et que cet état était connu des acquéreurs ; qu'elle a ensuite relevé, d'une part, qu'il résultait de l'acte lui-même que ni Arlette, ni Léone X... n'étaient privées de la capacité de le signer, d'autre part, que le prix retenu était conforme à l'estimation de l'expert relativement au rapport financier calculé au 1er juin 1992 et qu'enfin, l'acte avait été passé sous la surveillance et le contrôle du notaire de famille des sœurs X... contre lequel n'était établi ni mauvais conseil, ni acte de collusion avec les acquéreurs ; qu'elle en a souverainement déduit que la preuve n'étant pas rapportée que la vente se serait déroulée dans des conditions anormales de consentement ou de prix, il n'y avait pas lieu de prononcer sa nullité sur le fondement de l'article précité ; d'où il suit que le moyen est inopérant'' »

CONCLUSION

L’insanité d’esprit défini à l’article 901 du code civil est une des rares situations où le médecin peut être délié du secret professionnel s’il est sollicité sur l’état de santé mentale du contractant au moment de la conclusion d’un acte juridique.

Le médecin ne sera alors pas poursuivi pénalement pour violation du secret professionnel.

Et fort heureusement car, grâce à son intervention, le médecin peut protéger son patient contractant ou les héritiers de celui-ci.

L'acte accompli sera alors être annulé s’il a été conclu en état d'insanité d'esprit.

Cette annulation aura pour effet de replacer le ou les partie(s) dans l’état dans lequel elle(s) se trouvai(en)t avant la signature de l’acte et ce, comme si ce dernier n’avait jamais existé.