LA PLAINTE POUR ERREUR MEDICALE

UN RECOURS DE PLUS EN PLUS FREQUENT ? (CAUSE DE BURN OUT ? PLAINTES EN CROISSANCE ? NON JUSTIFIEES ?)

Près de 60 000 patients décèdent chaque année en France des suites d’un accident médical, soit 20 fois plus que le nombre de mort sur les routes.

L’accident médical se définit comme un événement imprévu ayant entraîné un dommage anormal au regard de l’évolution prévisible de l’état de santé du patient au cours d’un acte de soins, de prévention ou de diagnostic.

Il peut être consécutif à une faute de technique médicale ou à un aléa thérapeutique, entendu comme la réalisation, en dehors de toute faute du praticien ou de l’établissement de santé, d’un risque accidentel dont l’occurrence est faible.

Or, l’article L. 1142-1 du code de la santé publique dispose :

I. – Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère. II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret.''

Mais quelle est la proportion d’erreurs et d’aléas ? Cette proportion est-elle recensée en toute transparence ? Les plaintes afférentes des patients permettent-elles un tel recensement ? quel est le pourcentage de plaintes aboutissant à une indemnisation ? Ce pourcentage-t-il évolué en cours des dix dernières années ? Ont-elles pour corollaire un accroissement du nombre de professionnels de santé en situation de burn-out ?

A partir des éléments de réponse apportés aux questions ci-dessus, il sera alors possible de savoir si les patients pris en charge médicalement ont changé leur comportement vis-à-vis des professionnels de santé et dans l’affirmative, si ce comportement est légitime ou le fruit d’une « américanisation » du système de santé.

I – LES DIFFERENTS TYPES DE PLAINTES POUR ERREURS MEDICALES

Les plaintes des patients sont de plusieurs ordres et n’ont pas nécessairement le même objet.

1.1. Les plaintes « judiciaires »

Les plaintes « judiciaires », permettent la mise en œuvre d’une action pénale, civile ou administrative, en vue de l’obtention d’une indemnisation découlant d’un préjudice corporel subi. L’action est dite civile lorsqu’elle est intentée à l’encontre d’un professionnel de santé libéral ou d’un établissement de santé privée. L’action est dite « administrative » lorsqu’elle est dirigée à l’encontre un praticien hospitalier, donc contre un établissement public de santé.

Enfin, l’action est dite « pénale », indépendamment du statut du professionnel de santé ou de l’établissement de santé, lorsque l’un ou l’autre est à l’origine d’une infraction pénale sanctionnée par le code pénal. Dans cette dernière hypothèse, ces derniers encourent une peine pénale pouvant être notamment une amende ou une peine d’emprisonnement, outre une condamnation à des dommages-intérêts qui seront versés à la victime de l’accident médical.

1.2. Les plaintes « disciplinaires »

Il s’agit des plaintes déposées auprès du Conseil Départemental de l’Ordre des Médecins, qui permet la mise en œuvre d’une action dite « disciplinaire », dont le but n’est pas d’obtenir une indemnisation mais d’une part, la sanction du professionnel de santé quant à son activité et d’autre part, l’évolution des pratiques médicales.

1.3. Les plaintes « amiables »

Les plaintes amiables peuvent être déposées auprès des Commissions régionales de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux mais également directement auprès de l’assureur du responsable du sinistre.

1.3.1. Les Commissions de Conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux et L’Office National d’indemnisation des Accidents médicaux

Ce type de plaintes a vu le jour par la promulgation de la loi KOUCHNER n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.



POINTS FORTS

Depuis la loi KOUCHNER du 4 mars 2002, les patients victimes d’accidents médicaux ont vu leurs possibilités d’indemnisation croitre du fait de l’instauration de procédures amiables le permettant. Toutefois, en analysant la Jurisprudence en la matière, nous pouvons conclure que les victimes, beaucoup plus actives pour faire valoir leurs droits, ne sont pourtant pas plus satisfaites des nouveaux modes de règlement des litiges mis en place. Et ce nouveau comportement n’est pas sans incidence sur les professionnels de santé et leur activité.



Cette loi a permis la création des Commissions de Conciliation et d’Indemnisation des accidents médicaux (dite « CRCI ») dont l’objet premier était l’indemnisation, via l’Office national d'indemnisation des accidents médicaux (dit « ONIAM »), des conséquences de la survenue d’un aléa thérapeutique mais également des victimes du Mediator ou de l'hépatite C. L’ONIAM indemnise dès lors les accidents médicaux non fautifs les plus graves : en cas de déficit fonctionnel permanent supérieur à 25 % (Cf. Article L. 1142-1 du code de la santé publique).

1.3.2. Les négociations amiables « inter-assurantielles »

Ces négociations amiables découlent soit, des déclarations de sinistres des professionnels de santé directement auprès de leur assurance responsabilité civile professionnelles soit, des plaintes des patients directement diligentées contre un professionnel de santé ou un établissement de santé.

A la suite de la connaissance de cet évènement indésirable, l’assureur du responsable va indemniser directement le patient sans que ne soit saisi ni une Juridiction ni une Commission amiable et ce, via la signature d’un protocole d’accord transactionnel.

Il existe donc 3 types de plaintes permettant d’engager la responsabilité d’un professionnel de santé ou d’un établissement de santé.

Il est important de noter qu’environ un tiers des plaintes se règle à l’amiable, un tiers devant un Tribunal et un tiers devant les Commissions de Conciliation et d’indemnisation.

Il sera précisé que le délai pour obtenir une indemnisation varie du simple ou triple : 11 mois pour une négociation amiable, 1 an et demi pour une procédure devant la CRCI et 2 ans et demi devant une Juridiction.

Naturellement, pour qu’une plainte aboutisse favorablement, il est nécessaire qu’une expertise médicale soit diligentée par un Expert judiciaire ou amiable impartial, désigné respectivement par une Juridiction ou une Commission de conciliation et que ce dernier dépose un rapport d’expertise concluant à une faute ou à un aléa thérapeutique.

C’est à l’issue de ces différentes procédures qu’il est alors possible de tenter de recenser annuellement le nombre de plaintes pour erreurs médicales, leur nature et surtout leur opportunité et légitimité.

II – « PORTER PLAINTE » : UN COMPORTEMENT DES PATIENTS DE PLUS EN PLUS FREQUENT ET JUSTIFIE ?

Les français adoptent-il de plus en plus un comportement à l’Américaine ?

Attaquent-ils sans raison évidente le professionnel de santé et/ou l’établissement de santé l’ayant pris en charge ?

Pour pouvoir répondre à de telles questions, il conviendrait d’interroger l’ensemble des assurances de responsabilité civile professionnelle et des Tribunaux.

Or, il sera rappelé que de nombreux litiges se réglent amiablement, via la signature d’un protocole d’accord transactionnel soumis à confidentialité.

En outre, tous les patients n’ont pas nécessairement connaissance de leurs droits ou n’ont pas souhaité actionner les leviers d’une indemnisation de leurs préjudices corporels.

Aussi, seule une étude approfondie de la Jurisprudence des Tribunaux et des Commissions amiables (CRCI) sur plusieurs années peut permettre d’apporter une ébauche de réponse.

2.1. La Jurisprudence judiciaire

Le nombre de plaintes contre les médecins est en perpétuelle augmentation.

Selon, Dominique Godet, Directeur Général de SHAM, cette recrudescence est liée à une « plus grande exigence des malades envers les établissements de santé ».

Le rapport annuel sur le risque des professionnels de santé publié en 2016 par la Mutuelle d'assurance du corps de santé français (dite MACSF) révèle une hausse de 8,7 % des déclarations de sinistres, lesquelles aboutissent aux 2/3 à une condamnation.

Les spécialités principalement concernées sont les suivantes (par ordre décroissant) : Chirurgiens, médecins généralistes, anesthésistes réanimateurs, ophtalmologistes, radiologues, gynécologues obstétriciens, cardiologues, gastro-entérologues, ORL et dermatologues.



Par ailleurs, le nombre de réclamations lié à la chirurgie ambulatoire est en hausse et celui relatif aux infections nosocomiales en baisse.

Concernant l’ambulatoire, cela s’explique par la politique des pouvoirs publics de réduire le nombre d’interventions suivies d’une hospitalisation.

Le montant de l’indemnisation est très variable selon la spécialité mise en cause.

Il est par exemple nettement plus élevé en obstétrique qu’en chirurgie.

Et découle de ce montant, le mode de règlement du litige : amiable ou judiciaire.




2.2. La Jurisprudence des CRCI

Depuis 2003, le nombre de demandes déposées à l’ONIAM a presque triplé.

Mais depuis 2009, le nombre de saisine reste stable : 35 % en 2009 contre 39,7 % en 2016.

4575 demandes ont été déposées en 2016.

Parmi elles, 35% ont entraîné une indemnisation.

C’est un pourcentage faible qui s’explique très certainement par les conditions de saisine des Commissions.

2.2.1. Des plaintes soumises à critères de recevabilité et de compétence

Pour être recevable, la demande doit concerner une prise en charge médicale par un établissement de santé ou un professionnel de santé libéral, postérieure au 4 septembre 2001 et ayant eu pour conséquence la survenue d’un dommage occasionné par :


  • un accident médical ou des dommages imputables à une activité de recherche biomédicale,
  • une affection iatrogène (ou effet secondaire lié à un traitement médical),
  • une infection nosocomiale (ou infection contractée dans un établissement de santé).

Par ailleurs, une fois la requête déclarée recevable, la Commission doit se déclarer compétente pour rendre un avis sur le litige qui lui est soumis.

En effet, elle ne peut être compétente que si le ou les dommages allégués présentent un seuil de gravité suffisamment important.



Le seuil de gravité est atteint si la victime :


  • reste atteinte d’une incapacité permanente partielle de 24% au moins,
  • s’est trouvée en incapacité temporaire de travail pendant au moins 6 mois consécutifs (ou 6 mois non consécutifs sur une période de 12 mois
  • a subi des gênes temporaires constitutives d'un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égal à un taux de 50 % pendant au moins 6 mois consécutifs (ou 6 mois non consécutifs sur une période de 12 mois


et à titre exceptionnel, si la victime :


  • est définitivement inapte à l’exercice de son activité professionnelle antérieure,
  • a subi des troubles particulièrement graves dans ses conditions d’existence.

Aussi, il est manifeste que les conditions pour saisir une Commission sont nettement plus restreintes que celles exigées par une Juridiction civile, pénale ou administrative : la simple existence d’une faute ou d’un aléa thérapeutique ayant de graves conséquences.

De ce fait, les chances d’obtenir une indemnisation sont par principe plus faibles devant les CRCI que devant les juridictions.

2.2.2. Des critères réduisant les chances d’indemnisation des patients victimes

Si on analyse la nature des avis rendus en 2016, nous pouvons constater que les CRCI concluent pour 23 % des litiges à une absence de faute ou un aléa thérapeutique et pour près de 40 % à une irrecevabilité ou une incompétence.

Ce sont des pourcentages extrêmement importants qui laisse douter de l’efficacité réelle des CRCI.

D’autant qu’un avis d’irrecevabilité et d’incompétence ne permet pas de trancher la question de la responsabilité.

D’ailleurs, la Cour des comptes a épinglé l’ONIAM en 2016, dans son rapport annuel, en pointant du doigts ses failles :

  • le taux énorme de rejet des dossiers,
  • des délais de traitement et d’audiencement extrêmement longs
  • des refus inexpliqués
  • un organisme de plus en plus contesté (les offres indemnitaires ne sont pas adaptées)
  • un mauvais usage des fonds publics
  • de l’argent avancé jamais récupéré
  • etc.

Aussi, après analyse de la Jurisprudence des Tribunaux et des CRCI, il est possible de conclure que le nombre de plaintes est exponentiel et que celles-ci aboutissent en grande partie à une indemnisation du patient victime.

Ces plaintes visent plutôt l’acte médical et les soins prodigués (près de 90 %) que la vie hospitalière ou les dispositifs et produits de santé.

En tout état de cause, le processus d’indemnisation des erreurs médicales semble plus efficace devant les Juridictions Judiciaires que devant les Commissions.

Mais cette hausse des « procès » a-t-elle des incidences sur l’activité médicale des professionnels de santé ?

III – LE BURN-OUT DES PROFESSIONNELS DE SANTE : CAUSE OU CONSEQUENCE DE CE NOUVEAU COMPORTEMENT DES PATIENTS ?

3.1. Le Burn-out : une conséquence de l’augmentation des plaintes

L’augmentation du nombre de réclamations a modifié le comportement des praticiens vis-à-vis de leur activité professionnelle.

On peut d’ailleurs le constater à travers leur formation universitaire où une grande partie est consacrée non pas à la médecine en tant que telle mais à la relation médecin-patient et à la tenue irréprochable du dossier médical et ce, afin de se « couvrir » en cas de litige.

Cela fait peser sur les épaules des professionnels de santé une pression supplémentaire pouvant entraîner un épuisement professionnel.

Et on ne peut qu’imaginer les conséquences qu’un procès peut avoir sur un praticien.

Certains décident même de cesser d’exercer leur activité, après plusieurs années de procédure à leur encontre et ce, quand bien même à l’issue, il aurait été déclaré non responsable.

D’autres ont même mis fin à leurs jours.

Le burn-out est donc directement lié à l’accroissement des plaintes.

Cependant, le burn-out peut également en être la cause.

3.2. Le Burn-out : une cause de l’augmentation des plaintes

Le burn-out découle principalement de l’épuisement émotionnel, de la déshumanisation et de la perte d’accomplissement personnel au travail.

En effet, les professionnels de santé, surchargés de travail, ne peuvent pas « prendre autant de temps » qu’ils le souhaiteraient avec chaque patient, notamment pour les conseiller en matière de prévention.

Les patients, de leur côté, n’ont plus le respect d’autrefois et traitent souvent le praticien comme un prestataire à leur service.

Or, les professionnels de santé ne supportent pas les rapports conflictuels avec leurs patients, qui peuvent être agressifs, exigeants, dans l’attente d’une prescription suite à diagnostic réalisé personnellement en amont de la consultation etc …

68 % des praticiens évoquent que leur dernière situation stressante vécue provient d’un incident avec un patient.

La relation médecin-patient devient déshumanisée.

Ils sont par ailleurs noyés sous des contraintes économiques et administratives.

Ce sont toutes ces situations qui mettent le praticien en situation d’épuisement professionnel.

Or, un praticien en situation de burn-out a de plus grandes chances d'être impliqué dans un incident médical sur un patient.

Le praticien sera moins empathique, suivra moins bien les recommandations de bonnes pratiques, risque de faillir à son obligation d’informations, la satisfaction du patient ne pouvant plus être sa priorité.

CONCLUSION

Il est manifeste que le pourcentage de réclamation a explosé ces dix dernières années et que les pouvoirs publics ont pour ambition de protéger toujours davantage les patients victimes d’erreurs médicales pour leur offrir une indemnisation adéquate.

Toutefois, certains systèmes mis en place pour ce faire sont critiquables.

Aussi aujourd’hui, malgré ce caractère exponentiel, il n’est pas possible de chiffrer exactement le nombre d’erreurs médicales annuel, leur nature, et le nombre de décisions favorables ou défavorables.

Toutefois, il est évident que plus de la moitié des plaintes sont légitimes et entraînent ou devraient entraîner une indemnisation.

En tout état de cause, cet accroissement des plaintes n’est pas sans conséquence sur les professionnels de santé qui souffrent de plus en plus d’épuisement professionnel.

Toutefois, ces réclamations des patients ne sont pas nécessairement la cause de la mise en situation de burn-out mais peuvent également être une des conséquences du burn-out du fait d’un manque de vigilance du professionnel de santé qui en souffre.

Il serait dès lors intéressant de s’interroger sur une réforme, non pas du système judiciaire et amiable d’indemnisation des accidents médicaux, mais avant toute autre chose, de l’exercice médical du professionnel de santé et ce, afin de réduire le nombre de plaintes par l’effet des vases communicants.

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