VACCIN CONTRE L’HEPATITE B & SCLEROSE EN PLAQUES
mercredi 1 novembre 2017, 11:48 Droit de la santé et droit médical Lien permanent
LE REGIME PROBATOIRE FRANCAIS
La Cour de Juge de l’Union Européenne s’est prononcée, le 21 juin 2017 sur la preuve du lien de causalité entre le vaccin contre l’hépatite B et la sclérose en plaques.
En effet, elle a répondu à une question préjudicielle qui lui était posée par la Cour de cassation, par décision du 12 novembre 2015, parvenue à la Cour le 23 novembre 2015 et ce, conformément à ses missions, notamment celle de fournir à la juridiction nationale les éléments d’interprétation des traités et des actes pris par les institutions de l’Union, qui pourraient lui être utiles dans l’appréciation des effets de telles règles.
La demande de décision préjudicielle portait sur l’interprétation de l’article 4 de la directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux (JO 1985, L 210, p. 29).
Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mmes N., L. et C. W (agissant tant en leur nom personnel qu’en leur qualité d’héritières de M. J. W) à SANOFI PASTEUR MSD SNC à propos de la responsabilité éventuelle de ce dernier du fait d’un vaccin prétendument défectueux produit par celle-ci : le vaccin contre l’Hépatite B.
I - LES FAITS
À des fins de vaccination contre l’hépatite B, M. W s’est vu administrer un vaccin produit par Sanofi Pasteur, en trois injections intervenues, successivement, les 26 décembre 1998, 29 janvier 1999 et 8 juillet 1999.
Au mois d’août 1999, M. W a commencé à présenter divers troubles ayant conduit, au mois de novembre 2000, à un diagnostic de sclérose en plaques.
L'état de M. W s’est progressivement aggravé jusqu’à atteindre un déficit fonctionnel de 90 % nécessitant la présence constante d’une tierce personne, et ce jusqu’au moment de son décès, le 30 octobre 2011.
En 2006, M. W ainsi que trois membres de sa famille ont introduit une demande visant à obtenir la condamnation de Sanofi Pasteur à indemniser les préjudices qu’ils allèguent avoir subi en raison de l’administration à M. W du vaccin en cause.
Arguments des Demandeurs à l’instance :
Au soutien de cette demande, ils ont fait valoir que la concomitance entre la vaccination et l’apparition de la sclérose en plaques ainsi que l’absence d’antécédents personnels et familiaux de M. W relativement à cette maladie sont de nature à faire naître des présomptions graves, précises et concordantes quant à l’existence d’un défaut du vaccin et quant à celle d’un lien de causalité entre l’injection de ce dernier et la survenance de ladite maladie.
La demande des consorts W a été accueillie par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE dans un jugement du 4 septembre 2009.
Ce jugement a, par la suite, été infirmé par la Cour d’Appel de VERSAILLES par un arrêt du 10 février 2011.
Arrêt de la Cour d’Appel de VERSAILLES :
Les éléments invoqués par les Demandeurs à l’instance étaient de nature à établir des présomptions graves, précises et concordantes quant à l’existence d’un lien causal entre l’injection du vaccin concerné et la survenance de la maladie, mais non quant à l’existence d’un défaut dudit vaccin.
Saisie d’un pourvoi dirigé contre la décision de la Cour d’Appel, la Cour de cassation a annulé celui-ci par un arrêt du 26 septembre 2012.
Arrêt de la Cour de Cassation :
« En statuant, par une considération générale, sur le rapport bénéfice/risque de la vaccination, après avoir admis, en raison de l’excellent état de santé antérieur de M. W, de l’absence d’antécédents familiaux et du lien de proximité temporelle entre la vaccination et l’apparition de la maladie, qu’il existait des présomptions graves, précises et concordantes permettant d’affirmer que le lien causal entre la maladie et la prise du vaccin était suffisamment établi, sans examiner si les circonstances particulières qu’elle avait ainsi retenues ne constituaient pas également des présomptions graves, précises et concordantes de nature à établir le caractère défectueux de ce vaccin, la cour d’appel de Versailles n’a pas donné de base légale à sa décision ».
Statuant sur renvoi après cassation, la Cour d’Appel de PARIS a infirmé le jugement susmentionné du Tribunal de Grande Instance de NANTERRE et a rejeté la demande des Consorts W par un arrêt du 7 mars 2014.
Arrêt de la Cour d’Appel de PARIS :
La Cour d’Appel de PARIS a relevé :
- qu’il n’existait pas de consensus scientifique en faveur de l’existence d’un lien de causalité entre la vaccination contre l’hépatite B et la survenance de la sclérose en plaques
- que l’ensemble des autorités sanitaires nationales et internationales ont écarté l’association entre un risque d’atteinte démyélinisante centrale ou périphérique (caractéristique de la sclérose en plaques) et une telle vaccination.
- qu’il ressortait de multiples études médicales que l’étiologie de la sclérose en plaques est actuellement inconnue.
- qu’une récente publication médicale a conclu que, lors de l’apparition des premiers symptômes de la sclérose en plaques, le processus physiopathologique a probablement commencé plusieurs mois, voire plusieurs années, auparavant.
- que des études épidémiologiques indiquent que 92 à 95 % des personnes atteintes de la maladie n’ont aucun antécédent de ce type dans leurs familles.
Au vu de ces divers éléments, la Cour d’Appel de PARIS a conclu que les critères de la proximité temporelle entre la vaccination et les premiers symptômes et de l’absence d’antécédents personnels et familiaux invoqués par les Consorts W ne pouvaient constituer des présomptions graves, précises et concordantes permettant de conclure à l’existence d’un lien de causalité entre la vaccination et la maladie concernées.
C’est dans ce contexte que, saisie par les Consorts W d’un nouveau pourvoi en cassation dirigé contre cet arrêt, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de se tourner vers la Cour de Justice de l’Union Européenne.
Les questions préjudicielles posées à la Cour de Justice par la Cour de cassation étaient notamment :
1 - L’article 4 de la directive 85/374 s’oppose-t-il, dans le domaine de la responsabilité des laboratoires pharmaceutiques du fait des vaccins qu’ils produisent, à un mode de preuve selon lequel le juge du fond, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, peut estimer que les éléments de fait invoqués par le demandeur constituent des présomptions graves, précises et concordantes, de nature à prouver le défaut du vaccin et l’existence d’un lien de causalité de celui-ci avec la maladie, nonobstant la constatation que la recherche médicale n’établit pas de lien entre la vaccination et la survenance de la maladie ?
2 - En cas de réponse négative à la première question, l’article 4 de la directive 85/374 s’oppose-t-il à un système de présomptions selon lequel l’existence d’un lien de causalité entre le défaut attribué à un vaccin et le dommage subi par la victime serait toujours considérée comme établie lorsque certains indices de causalité sont réunis ?
C’est dans ce contexte que la Cour de Justice de l’Union Européenne a rendu sa décision, le 21 juin 2017.
Elle a tout d’abord rappelé le cadre juridique de la responsabilité du fait de la défectuosité d’un produit de santé, tant au niveau de l’Union Européenne qu’en droit français (1).
Elle a ensuite répondu aux questions qui lui ont été posées par la Cour de Cassation (2).
II - LE CADRE JURIDIQUE
• Le droit de l’Union Européenne
Les 1er, 2e, 6e, 7e, et 18e considérants de la directive 85/374 disposent qu’un rapprochement des législations des États membres en matière de responsabilité du producteur pour les dommages causés par le caractère défectueux de ses produits est nécessaire du fait que leur disparité est susceptible de fausser la concurrence, d’affecter la libre circulation des marchandises au sein du marché commun et d’entraîner des différences dans le niveau de protection du consommateur contre les dommages causés à sa santé et à ses biens par un produit défectueux ;
Seule la responsabilité du producteur permet de résoudre de façon adéquate le problème, propre à notre époque de technicité croissante, d’une attribution juste des risques inhérents à la production technique moderne.
Pour protéger l’intégrité physique et les biens du consommateur, la détermination du caractère défectueux d’un produit doit se faire en fonction non pas de l’inaptitude du produit à l’usage, mais du défaut de sécurité à laquelle le grand public peut légitimement s’attendre.
Cette sécurité s’apprécie en excluant tout usage abusif du produit, déraisonnable dans les circonstances.
Rappel des dispositions européennes :
Aux termes de l’article 1er de la directive 85/374, « le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit. »
L’article 4 de ladite directive énonce que « la victime est obligée de prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage. »
Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la même directive, « un produit est défectueux lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre compte tenu de toutes les circonstances, et notamment : a) de la présentation du produit ; b) de l’usage du produit qui peut être raisonnablement attendu ; c) du moment de la mise en circulation du produit. »
• Le droit français
L’article 1245 (anciennement 1386-1) du code civil énonce que le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime.
L’article 1245-8 (anciennement 1386-9) du code civil prévoit que le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage.
III - LES REPONSES AUX QUESTIONS PREJUDICIELLES
Question préjudicielle n° 1
Concernant la première question de la Cour de cassation, la Cour de Justice de l’Union Européenne a répondu en ces termes :
Rappel de la question préjudicielle n° 1 :
L’article 4 de la directive 85/374 doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à un régime probatoire national en vertu duquel, lorsque le juge du fond est saisi d’une action visant à mettre en cause la responsabilité du producteur d’un vaccin du fait d’un défaut allégué de ce dernier, il peut considérer, dans l’exercice du pouvoir d’appréciation que, nonobstant la constatation que la recherche médicale n’établit ni n’infirme l’existence d’un lien entre l’administration du vaccin concerné et la survenance de la maladie dont est atteinte la victime, certains éléments de fait invoqués par le demandeur constituent des indices graves, précis et concordants permettant de conclure à l’existence d’un défaut du vaccin et à celle d’un lien de causalité entre ce défaut et ladite maladie.
Rappel de l’article 4 de la directive 85/374 du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux :
« La victime est obligée de prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage. »
La Cour de Justice estime que le régime probatoire français est de nature à faciliter la tâche de la victime puisque cette dernière n’a pas l’obligation de produire des preuves certaines et irréfutables de l’existence du défaut du produit et de celle du lien causal entre ce dernier et le dommage encouru.
En effet, le régime probatoire national autorise le juge à conclure qu’une telle existence du défaut du produit est avérée et ce, en se fondant sur un faisceau d’indices dont la gravité, la précision et la concordance lui permettent de considérer, avec un degré suffisamment élevé de probabilité, qu’une telle conclusion correspond à la réalité.
La preuve de ces différents indices doit être rapportée par la victime et le juge pourra, selon son intime conviction, juger de l’existence d’un défaut du vaccin et d’un lien de causalité entre celui-ci et le dommage subi.
La Cour de Justice rappelle à ce titre que la recherche médicale n’établit ni n’infirme l’existence d’un lien entre l’administration du vaccin et la survenance de la sclérose en plaques.
Aussi, c’est la raison pour laquelle la victime d’une telle pathologie n’est pas tenue de rapporter la preuve certaine issue de la recherche médicale de l’existence d’un lien de causalité entre le défaut attribué au vaccin et la survenance de la maladie, sauf à méconnaître les objectifs découlant de la même directive européenne, à savoir la sécurité et la santé des consommateurs.
Ainsi, d’une part, il incombe aux juridictions nationales de veiller à ce que les indices produits soient effectivement suffisamment graves, précis et concordants pour autoriser la conclusion selon laquelle l’existence d’un défaut du produit apparaît comme étant l’explication la plus plausible de la survenance du dommage, de sorte que de tels défaut et lien de causalité peuvent raisonnablement être considérés avérés.
D’autre part, il importe que ces mêmes juridictions fassent en sorte que demeure inaffecté le principe selon lequel c’est à la victime qu’il incombe de démontrer, par tous les moyens de preuves admis par le droit national et notamment par la production d’indices graves, précis et concordants, l’existence d’un défaut du vaccin et d’un lien de causalité.
Appréciation par la Cour de Justice de l’Union Européenne des moyens de preuve apportés par les Demandeurs dans la présente affaire :
La Cour de Justice a décidé que des éléments tels que ceux invoqués dans le cadre de la présente affaire et liés à la proximité temporelle entre l’administration d’un vaccin et la survenance d’une maladie ainsi qu’à l’absence d’antécédents médicaux personnels et familiaux, en relation avec cette maladie, de même que l’existence d’un nombre significatif de cas répertoriés de survenance de cette maladie à la suite de telles administrations, paraissent a priori constituer des indices dont la conjonction pourrait conduire une juridiction nationale à considérer qu’une victime a satisfait à la charge de la preuve pesant sur elle en vertu de l’article 4 de la directive 85/374.
Tel pourrait notamment être le cas si lesdits indices amènent le juge à considérer, d’une part, que l’administration du vaccin constitue l’explication la plus plausible de la survenance de la maladie et, d’autre part, que ledit vaccin n’offre dès lors pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre, en ce qu’il occasionne un dommage anormal et particulièrement grave au patient alors que, s’agissant d’un produit de cette nature et eu égard à la fonction de celui-ci, il est attendu un degré élevé de sécurité.
Conclusion de la Cour de Justice de l’Union européenne sur la question préjudicielle n° 1 :
La Cour de Justice a conclu que l’article 4 de la Directive ne s’oppose pas à un régime probatoire national en vertu duquel, lorsque le juge du fond est saisi d’une action visant à mettre en cause la responsabilité du producteur d’un vaccin du fait d’un défaut allégué de ce dernier, il peut considérer que, nonobstant la constatation que la recherche médicale n’établit ni n’infirme l’existence d’un lien entre l’administration du vaccin et la survenance de la maladie dont est atteinte la victime, certains éléments de fait invoqués par le demandeur constituent des indices graves, précis et concordants permettant de conclure à l’existence d’un défaut du vaccin et à celle d’un lien de causalité entre ce défaut et ladite maladie.
Question préjudicielle n° 2
Concernant la deuxième question de la Cour de cassation, la Cour de Justice de l’Union Européenne a répondu en ces termes :
Rappel de la question préjudicielle n° 2 :
En cas de réponse négative à la première question, l’article 4 de la directive 85/374 s’oppose-t-il à un système de présomptions selon lequel l’existence d’un lien de causalité entre le défaut attribué à un vaccin et le dommage subi par la victime serait toujours considérée comme établie lorsque certains indices de causalité sont réunis ?
Par sa deuxième question, la Cour de cassation a demandé si l’article 4 de la directive 85/374 devait être interprété en ce sens qu’il s’oppose à un régime probatoire national reposant sur des présomptions.
Aussi, la Cour de cassation s’est interrogée sur le point de savoir si elle-même ou le législateur national pourraient énumérer certains types d’indices matériels prédéterminés dont la conjonction serait de nature à conduire automatiquement à l’établissement d’un lien de causalité entre le défaut attribué au vaccin et la survenance de la maladie.
Un tel type de présomption dite irréfragable aurait pour conséquence que :
- le producteur se verrait privé de toute possibilité de produire des éléments factuels ou de faire valoir des arguments (notamment de type scientifique) afin de tenter de renverser cette présomption,
- le juge se verrait privé de toute possibilité d’apprécier les faits à la lumière de tels éléments ou arguments.
Aussi, dès lors que les faits ainsi pré-identifiés par le législateur ou par la juridiction suprême nationale se trouveraient établis, l’existence d’un lien de causalité serait automatiquement présumée.
Conclusions de la Cour de Justice de l’Union Européenne sur la question préjudicielle n° 2 :
La Cour de Justice a indiqué que l’article 4 de la directive 85/374 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à un régime probatoire reposant sur des présomptions selon lequel, lorsque la recherche médicale n’établit ni n’infirme l’existence d’un lien entre l’administration du vaccin et la survenance de la maladie dont est atteinte la victime, l’existence d’un lien de causalité entre le défaut attribué à un vaccin et le dommage subi par la victime serait toujours considérée comme établie lorsque certains indices factuels prédéterminés de causalité sont réunis.
CONCLUSION
Aussi en substance, la Cour de Justice de L’union européenne a :
- d’une part affirmé, que la directive 85/374 CEE ne s’oppose pas à un système national admettant la preuve d’un lien entre le vaccin et la maladie susmentionnés par un faisceau d’indices graves, précis, et concordants ;
A ce titre, elle a souligné l’autonomie de la preuve juridique par rapport à la preuve scientifique car l’exigence d’une preuve scientifique aurait pour effet de rendre impossible la mise en cause de la responsabilité du producteur dans la mesure où la recherche médicale n’a pas permis ni d’établir ni d’infirmer l’existence d’un lien causal entre le vaccin et la sclérose en plaques.
- d’autre part, la Cour s’est opposée à l’établissement d’une liste d’indices factuels dont la conjonction serait nécessaire et suffisante pour prouver ce lien de causalité entre le vaccin et la pathologie déclarée, sans que le producteur ne soit autorisé à prouver le contraire.
En cela, elle condamne tout système probatoire qui donnerait à certains indices prédéfinis une valeur déterminante.
La cour de cassation espérait sans doute, en interrogeant la Cour de Justice, être guidée pour la solution d’un contentieux embarrassant.
Mais les résultats obtenus ont été relativement modestes.
La Cour de Justice n’a fait qu’approuver les orientations que la Haute Juridiction française avait prises auparavant, sans les préciser réellement, sauf à souligner le contrôle que doit exercer la Juridiction suprême sur les motifs qui soutiennent l’appréciation des juges du fond.